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CHANTS
ET DANSES CHEZ LES BERBERES DU MAROC CENTRAL
Domaine berbère marocain La danse tient incontestablement une place de choix dans la culture berbère. Phénomène essentiellement rural, il s'agit habituellement d'une manifestation d'un haut niveau esthétique, à la mise en scène aussi symbolique que suggestive, sans doute liée à quelque thème de fécondité issu du fond des âges. Exutoire commode, en tout cas, pour des populations menant une existence rude, elle ne peut laisser l'observateur indifférent. Au mieux, elle le charmera grâce à son mysticisme immanent se répercutant en ondes qui atteignent très profondement la sensibilité (Mazel, 1971, p. 226). Depuis le Rif jusqu'à l'Anti-Atlas, les danses berbères se succèdent, aussi nombreuses que variées ; raison pour laquelle il pourrait s'avérer fastidieux d'en établir un inventaire exhaustif. Tout au plus se contentera-t-on d'en citer les plus connues, d'en évoquer les traits caractéristiques, et de les situer dans l'espace marocain.
Deux formes incompatibles: ahwach et ahidous A l'avant de la scène c'est le tandem ahwach/ahidous qui prédomine, tant par son extension territonale englobant l'ensemble du monde atlasique, que par les connotations cuitureiles et linguistiques qu'il renferme. En effet, I'ahwasAs'identifie directement à l'aire tachelhiyt, donc aux populations sédentaires appelées communément chleuh, plus exactement Ichelhayn. C'est dire qu'il se pratique dans l'Anti-Atlas, le Haut-Atlas occidental, et le Haut-Atlas central jusqu'à une ligne imaginaire (très perméable, aussi) allant de Demnat à l'Asif Mgun. Fait intéressant, du reste, c'est dans cette zone de contact que l'on assiste, depuis une trentaine d'années, à une poussée inexorable de l'ahwach au détriment de l'ahidous, selon le musicologue Lortat-Jacob (1980, p. 68) qui a effectué un travail fort sérieux dans ce domaine. A telle enseigne, que les Ayt Mgun sont totalement gagnés par le phénomène, Iequel s'étendrait également aux Ayt Bou Wlli. Plus à l'Est, cependant, l'ahidous règne en maître chez les ksouriens transhumants de parler tamazight du Haut-Atlas oriental, dont il constitue la danse de base, ainsi que chez Ieurs cousins du Moyen-Atlas. Ensemble que le lecteur aura reconnu comme appartenant au groupe dit beraber (imazighen). L'ahidous (prononcé parfois haydous) parvient à franchir les limites nord-est du pays amazigh, puisqu'on constare sa présence chez les Ayt Warayn, groupe important dont le parler s'apparente à la znatiya.
L'ahidous des transhumants Là où le rythme de l'ahwach est à deux ou quatre temps, celui de l'ahidous est genéralement à cinq temps, fait souligné par Chottin (1948, p. 545) qui l'assimile au genre péonique des Grecs, alors que Lortat-Jacob (1980, p. 69) émet des réserves à ce propos. Rythme scandé à l'aide de tambourins à cadre de bois, munis de timbre, ce qui leur confère une sonorité vibrante, toute particulière. S'il y a plusieurs variétés d'ahwach, il en est de même pour l'ahidous. Une constante, toutefois : est exclu le cloisonnement des sexes, lesquels se mêlent tous ensemble à la danse (Morin-Barde, 1963, p. 78). Par ailleurs, au niveau chorégraphique on distingue deux cas de figure : I'ahidous peut prendre une forme linéaire ou circulaire. A ce moment-là, les femmes peuvent venir s'intercaler dans l'alignement des hommes, de même qu'elles peuvent former une rangée séparée face à celle des hommes. Ceci tient au fait que chez ces tribus pastorales Ayt Myill, Izavyan, Ayt Yafelman, Ayt 'Atta et autres, la notion de Ihechoumt (= retenue, modestie) en public est attenuée par rapport à leurs congénères ichelhayn. Certes, des nuances s'observent. Ainsi les Ayt 'Atta forment, en principe, deux alignements où femmes et hommes se font face (Morin-Barde, 1963, p. 78 ; Bertrand, 1977, p. 85 ; Hart, 1981, p. 118) se déplacent en avant et en arrière d'un pas lent. Lent également, le rythme chez les Ait Merghad, où seules veuves, jeunes divorcées et jouvencelles sont admises : l'ahidous, alors que toute femme mariée s'y aventurant déshonoreraiit son époux (Bertrand, 1977, p. 238). Chez les Izyyan et les Ichqirn on prononce plutôt haydous et c'est un cercle que l'on forme (Le Glay, 1930, p. 61 ; Guennoun, 1934, p. 247). Perçue comme déroulement, la danse est précisément un ternps fort, un moment où, sans fausse honte, les deux sexes peuvent se mélanger, au point de se toucher. Cet aspect tactile de l'ahidus est mis en exergue par un bon mot célèbre rendu sous forme de distique (izli), attribué à un u-hdiddu anonyme invité à une danse en Melwiya, et qui s'émerveille au contact des capes à paillettes que portent les femmes de là-bas, contrairement à celles de sa tribu qui sont depourvues de ce genre d'ornementation : mer ufix may d uznex ad as yini iwa warraw hat ikka d muzun ghifi! (Si je pouvais trouver moyen de vous le dire, Ah, les enfants, je ressens la caresse des capes paillettées) (Peyron, 1988, p. 149). Comme le dit un ug-wurayn à propos d'une noce dans son village : iwa, tili Ifrajt txelq ; mulay ad-ichtah, yimma-s at-tchetah, baba-s ad-istah, itt-enn ur-ellint chay Ihya !. (= Et voilà, la fête s'organise ; le jeune marié va danser, sa mère va danser, son père va danser, cette nuit il n'y a pas lieu d'avoir honte ! Peyron, 1983, p. 141). Chez les Ayt Warayn, comme chez leurs voisins Ayt Seghruchchen, ce sont les hommes qui forment l'alignement, les mains jointes; les femmes s'intercalent alors, en joignant leurs mains entre elles, aux côtés d'hommes de leur connaissance (tisednan tattent tterf uwenn ssnint). Ceci dans le but de sauver les apparences. Ainsi, au cas où un père, un frère, ou un fiancé juge inconvenante sa présence dans l'ahidous, il passe derrière elle, lui tapote discrètement l'épaule, et elle sort de l'alignement, sans nuire pour autant au bon déroulement de la danse. Sans doute l'ahidous se présente-t-il sous sa forme la plus authentique en pays Ayt Hadiddou : grands alignements des deux sexes que l'on a pu voir lors de l'agdud de Sidi Hmad u-Lemgni - autre Moussem d'Imilchil pendant les années 1960/70 (Garrigue, 1964, p. 150-151 ; Bertrand, 1977, p. 131), époque à laquelle les danseurs, n'ayant pas encore subi l'anesthésie de la récupération touristique, s'appliquaient avec une conviction certaine. De nos jours, c'est lors des longues veillées automnales, à l'occasion de noces (timghriwin) qu'il convient de leur rendre visite si l'on souhaite voir les Ayt Hadiddou s'exprimer librement selon leur très ancienne tradition (Kasriel, 1990, p. 144), et non pas selon une orchestration de pure circonstance. Au sein de la fraction Ayt Brahim, à Alemghou, il nous a été donné de participer en octobre 1981 à un ahidous de mariage. La scène se déroulait dans un espace vide inyer igerman, selon la tradition, c'est-à-dire entre Ies hautes murailles de deux spacieuses demeures ; entre les deux alignements de danseurs une flambée, périodiquement ravivée à l'aide de buissons épineux, permettait alors de mieux distinguer les visages des autres participants en proie à l'émotion de la danse : sensation d'harmonie, de vibration collective extrêmement intense. La danse se décomposait en sept mouvements : 1° Lancement d'un izli par le meneur de jeu, balancement de chaque rangée se faisant face, ce mouvement ayant pour nom assergig (tremblement) ; 2° La rangée B chante l'izli ; 3° La rangée B s'affaisse lentement en se déhanchant, puis remonte ; 4° La rangée A fait de même ; 5° La rangée B exécute trois flexions de genou, chacun monte sur la pointe des pieds, puis se laisse retomber ; 6° La rangée A fait de même; chaque rangée répète ce mouvement ; 7° Les deux rangees reprennent leur balancement initial. (Cf. Mazel, 1971, p. 235). Tout autre était un ahidous improvisé, de bergers et de bergères, en août 1988, à près de 3 000 m d'altitude, au cur du Jbel el 'Ayyachi, à Taghbalout n-Tghighat, haut lieu de la transhumance Ayt Hadiddou et Ayt Merghad. Exécuté selon un rythme plus enlevé, il mit en uvre une vingtaine de jeunes gens et jeunes filles intercalées, formant cercle, auquel nous nous sommes joint. Chorégraphie plus fruste, marquée par trois flexions de genou, suivies d'un pas glissé vers la gauche, et ainsi de suite, de sorte que le cercle tournait insensiblement et incessamment sur lui-même. Impression moins forte, sans doute, mais ambiance joyeuse et bon enfant tout de même.
Variantes et dérivées de l'ahidous Au nombre de celles-ci on se doit de signaler la tameghra, forme relictuelle qui perdure dans la vallée de la Tassawt (Haut Atlas central) dans une région gagnée par la contagion de l'ahwach dominateur. La tameghra s'exécute principalement à l'occasion de mariages, comme son nom l'indique. Très voisine de l'ahidous, c'est une danse de femmes marquée par des formules chantées en choeur et des battements de mains (Lortat-Jacob, 1980, p. 64). Grâce à une étude récente sur les danses au pays Izayyan, nous disposons de quelques précisions quant aux formes de l'ahidous qui s'y pratiquent. La principale semble être 1'oukch, (ahidous oukch) caractérisé par un frémissement des corps, un martellement des pieds, et dont les rythmes se retrouvent dans toute la Berbérie (Aherdan, 1980, p. 72). Forme plus grave, empreinte de ferveur quasi-religieuse, la tamhawcht de la région de Lqbab, legs culturel de l'ancienne et tres influente confrérie maraboutique des Imhiouach. Citons enfin, pour mémoire, une troisieme forme, I'ahidous Ihit. Chez les voisins Zemmour l'agencement de l'ahidous obéit à des règles semblables (Querleux, 1915/16, p. 113). En pays Ayt Sokhman et Ayt Hadiddou (Haut-Atlas oriental) il existe une forme d'ahidous réservée aux femmes, connue très logiquement sous l'appelation tahidoust (Kasriel, 1990, p. 130-131). Lors de la tahidoust, associée essentiellement à la cérémonie de circoncision, les femmes forment deux alignements, face à face, et accompagnent leur chant au tambourin (tallunt). Autre ahidous de femmes, largement connu, celui où se déhanchent ces fameuses danseuses-divertisseuses professionnelles de blanc vêtues, qualifiées du sobriquet péjoratif de chikhate (chchikhat). Formant de véritables troupes d'une demi-douzaine de danseuses, coiffées par un chef (rays), habituellement joueur de violon ou de luth, elles comptent également deux ou trois autres musiciens, tambourinaires pour la plupart. Ces ensembles louent leurs services à travers tout le Maroc à l'occasion de mariages et autres fêtes, se produisant parfois chez des particuliers. On a tendance à lier ce phénomène au pays Izayyan, surtout Khenifra ou sa région. En fait, si cette institution y a effectivement pris naissance, de nos jours des chchikhat-s se recrutent aussi bien chez les Ayt Yousi, que chez les Ayt Myill ou Ayt Yahya. Du reste, un certain u-izdidu du nom de Lahsen, descendu à Tighessalîn, devenu célèbre comme chef de troupe dans l'azaghar, c'est-à-dire en plaine, n'en oublie pas pour autant ses origines montagnardes, et remonte parfois avec ses chchikhat-s participer à l'animation du Moussem d'Imilchil. Un autre type d'ahidous. exclusif aux Ayt Bu Wgemmaz (Haut-Atlas central), est remarquable du fait que, comme le précise Mazel (1971, p. 234) ce sont les femmes qui mènent la danse, au sens propre et au sens figuré. Ronde féminine accompagnée par des tambourinaires enturbannés, portant selham blanc et poignard courbe, et un curieux joueur de flûte chapeauté d'une calotte conique qui n'est pas sans rappeler le bonnet phrygien. C'est également aux Ayt Bu Wgemmaz, ainsi que dans quelques vallées voisines, que se manifeste la célèbre danse des fusils ou adersiy, qui serait une forme d'ahidous selon Lortat-Jacob (1980, p. 69), signalée pour la première fois par Euloge (1932, p. 104). A l'occasion d'un mariage, ou autre fête importante du village, jusqu'à 80 hommes, déployés sur un large espace entre les maisons, chantent, dansent au son du tambourin et déchargent en l'air leurs antiques fusils en ramenant vivement la crosse vers le sol (cf. Bernezat, 1987, p. 104-105).
Danses guerrières Chez un peuple assez enclin à faire parler la poudre, quoi de plus naturel que de trouver une cohorte de danses d'inspiration apparemment guerrière, I'adersiy semble caractéristique du genre. Il ne faudrait pas s'attendre, toutefois, à rencontrer des manifestations d'une facture identique aux danses de guerre des Amérindiens, ou autres peuplades dites primitives. Danses évoquant la guerre, certes, comme lors du simulacre de rapt de la fiancée chez les Izayyan (Laoust, 1915/16, p. 71) mais jamais de danse en tant qu'excitation collective propre à décupler l'ardeur des guerriers au combat. Gellner est tout à fait formel à ce sujet (1969, p. 247-249). Cependant, si selon lui, les Berbères du Haut-Atlas n'ont pas de danse de guerre, une affaire de danse a bel et bien déclenché chez eux une petite guerre intra-tribale. Cela se passait chez les marabouts de Zawit Ahansal vers la fin du XIXè siècle. La naissance d'un garçon dans un foyer combla de joie le père qui organisa une fête mémorable au cours de laquelle hommes et femmes se livrèrent sans retenue à l'ahidous. L'événement mérite d'être mentionné car il nous ramène à la notion primordiale de lehchoumt, qui admet ou n'admet pas certains comportements, surtout lorsque cela confine à la promiscuité sexuelle. Scandalisés par ce retour à des pratiques jugées immorales, leurs rivaux et voisins immédiats au Nord, les igurramn de Zawiya Tamga en firent un casus belli ; il s'ensuivit la Guerre de la Danse, conflit sans beaucoup de gravité puisqu'il ne fit, à ce que l'on raconte, que sept victimes. Laissons là cet incident cocasse et considérons quelques unes parmi les plus saisissantes des danses à connotation guerrière. Dans la partie orientale du Moyen-Atlas, et chez les Ghiata de Taza en particulier, les hommes exécutent une danse de fusils aussi bien diurne que nocturne. Circulant d'un pas lent, à intervalles réguliers les danseurs déchargent leurs fusils à l'unisson, en dirigeant le canon vers le sol, soulevant poussière et gravillons. Épisode purement ludique, excluant tout simulacre de combat, exigeant à la fois adresse et agilité.
Chants berbères du Maroc Qu'elle soit fruste ou recherchée, de caractère amateur ou professionnel, la poésie berbère se manifeste principalement sous une forme chantée. Cela revient à dire que la notion de chant est indissociable de celle de poésie. Le répertoire des chants berbères marocains se signale par sa richesse, autant que par sa diversité. Il témoigne de la vie intense d'un peuple caractérisé par une oralité très forte, où le sérieux, I'âpreté parfois, du vécu quotidien doit être compensé par des heures de joie, de fête, au cours desquelles le chant constitue un exutoire à la fois commode et fort apprécié. Presque toujours collectifs, s'appuyant essentiellement sur une participation instrumentale surtout lors des fêtes ou soirées, organisées ou impromptues, les chants ponctuent également la vie rurale. En effet diverses fonctions de base s'effectuent en chantant : moisson, battage et vannage, activités plutôt masculines, bien que parfois à caractère mixte ; mouture du grain, fauchage de l'herbe, ramassage de bois. Ces dernières, plus intimistes, sont le plus souvent l'apanage des seules femmes. A quelques nuances près, ces formes se rencontrent d'un bout à l'autre du Maroc. Nous allons présenter dans cette étude la production chantée correspondant à l'aire linguistique des Beraber du Maroc central.
Chants des Beraber (parlers tamazight) Bien que présentant, comme pour le domaine de la tachelhit (Sud-ouest marocain), une certaine richesse, les chants des imazighen du Moyen Atlas et du Haut Atlas oriental passent chez certains (H. Basset; 1920, p. 340), pour être de facture plus sobre, moins fouillée que ceux de leurs congénères chleuhs, jugement à propos duquel nous émettons quelques réserves. Comme pour les matériaux en provenance de cette aire, on remarque essentiellement deux formes de production. La première, au niveau du village, à l'occasion de soirées musicales ou fêtes, met en uvre des improvisateurs, ou trouvères locaux, les inessada, spécialisés dans la composition de couplets chantés, izlan, (sing. izli). Ils sont à la base de la poésie chantée des Beraber. Parfois d'ordre didactique, le plus communément à caractère amoureux, ces vers atteignent un très large auditoire, et sont, de ce fait, connu de la plupart des locuteurs de l'aire de la tamazight. Incisifs et moqueurs, ces distiques servent de monnaie d'échange lors des affrontements verbaux mettant aux prises des inechchadn rivaux, très apprécies du public. On dit alors des protagonistes: ar ttemwatn s izlan ! (ils se battent à coup de distiques !) Production populaire fort importante vu qu'elle compte plusieurs centaines d'izlan en circulation libre, grâce au bouche à oreille, au combiné radio/lecteur de cassette, ainsi qu'aux cassettes pirates qui se vendaient 7 dirhams à Azrou ou Ksiba pendant les années 1980. La deuxième forme de production est attribuable à des troubadours professionnels, sorte de musiciens ambulants, originaires pour la plupart des Ayt Yafelman, qui sillonnaient autrefois la montagne de long et en large à la belle saison, les imdyazn. Ces musiciens ont reçu le souffle poétique grâce à la bonne volonté d'un saint tutélaire (Roux; 1928), ce qui ne les dispense pas d'un apprentissage très long, au cours duquel ils doivent fournir un effort intense de mémorisation, et, à partir du stock accumulé, (...), se familiarise(r).... avec les lois rythmiques du langage versifié, Jouad; 1989, p. 105). Les poèmes qui résultent de ce travail, qu'il s'agisse de chansons gazette, de pièces didactico-religieuses, ou à caractère historique, pouvant aligner entre 50 et 120 vers, sont connus sous une désignation générique, dite tamedyazt (parfois tamlyazt sur le versant nord du Moyen Atlas), nom qui de nos jours tend à banaliser l'ensemble de cette production. Pourtant, à en croire Roux, celle ci connaissait des subdivisions : des poésies traitant des événements passés ou contemporains, dits tayffrin lmejryat ; des chants des femmes et de l'amour, (tafsut) ; des chants concernant la vie morale et religieuse, (tuhid). Pour Robichez (1946, p. 182), cependant, la tayffart n'était, comme son nom l'indique, qu'une chaîne de couplets alignés les uns derrière les autres, sans que l'on puisse invoquer une uvre poétique d'un seul tenant. A l'époque actuelle, du reste, on aboutit à un amalgame entre les appellations tayffart et tamdyazt au point que celle ci tend à disparaître en faveur de celle là. (Cf. Drouin, 1975, p. 160) Lortat Jacob, 1980, p. 46). Genre qui s'avère assez perméable aux entreprises des chercheurs, la tamdyazt, selon ses divers avatars, nous est connue grâce en grande partie aux collectes de Roux (1928), Laoust (1939/1949), Drouin (1975), Jouad (1983), Ait Lemkadem (1986), et Lefébure (1987). Documents de longueur et de valeur inégales, corpus un peu hetéroclite, où l'on retrouve un échantillonnage de chants de la période de résistance ; des morceaux à enseignements religieux sur Moïse, Joseph, ou Sidna Yub ; des diatribes à l`encontre du relâchement des murs et contre l'émigration ; I'évocation des malheurs de ruraux indigents. Au départ, l'exécution d'une tamdyazt revient à un soliste, toujours masculin, exerçant ses seules cordes vocales. Actuellement la rendance est au solo, mais avec reprise en choeur du refrain, ponctué ou non par une ritournelle au violon (lkamanja). A des degrés divers, les imdyazn se produisant encore auprès d'un public rural cherchent simultanément une ouverture du côté des milieux citadins, par le biais d'enregistrements semi commerciaux, ou commerciaux, ces derniers au prix de 15 dirhams la cassette à Azrou, en 1991. C'est le cas notamment du très traditionaliste chikh Lesieur des Ayt Yahya, qui détient un riche répertoire, ainsi que d'une chorale à tendance puriste, s'appelant, curieusement : Inechaden (inechchadn). Contribution enfin de Mohammed Rouicha, vedette nationale qui, lui, a introduit la tamdyazt avec accompagnement musical intégral. Deux autres formes chantées par les imazighen échappent à une classification facile ; I'ahellel et la tamawayt. Pour Akouaou (1987), il est clair que ce premier genrc ne serait pas à vocation religieuse, bien que contenant souvent un incipit à l'adresse de Dieu. Au début l a t il peut- être été, puisqu'il semblerait y avoir eu évolution du sacré au profane. A ce premier titre, on se doit de mentionner un chant rituel juif en tamazight (Galand Pernet et Zafrani ; 1970) recueilli à Tinghir. Egalement Laoust (1939, p. 980 281) qui, sous l'entête ahellel publie divers morceaux courts : chants de rrma (tireurs), de pèlerins, de moissonneurs, berceuse et chanson de mouture, où Dieu est souvent évoqué. Signalons également que Benzekri (1988) nous présente certains morceaux du genre tayffart ou tamdyazt, sous l'appellation ahellel. La tamawayt, quant à elle, pouvait, selon Roux (1928), figurer au répertoire des imdyazn ; le fait est que cette forme se prête aussi bien au chant masculin que féminin. Dans le meilleur des cas, un homme et une femme se livrent à un échangé de timawayint exclusivcment vocal, sorte de jocus partibus, en levé de rideau lors d'une fête. Habituellement, pourtant, c'est à une véritable cantatrice, spécialiste du genre, que revient cet honneur. Mélopée plaintive, consacrée autant au mal d'aimer qu'à la croyance en Dieu, chantée sur un registre aigu, ponctuée de trémolos et de césures, la tamawayt de base comporte deux hémistiches (Imayat), mais il existe plusieurs morceaux de 3 à 10 hémistiches. C'est sans doute la chanson berbère dans son expression la plus pure, la plus esthétique en tout cas, vu la beauté des voix, sans parler de la qualité des termes recherchés aux résonances heureuses. C'est la région du Maroc central qui semble être le berccau de la tamawayt, plus particulièrement entre Lqbab et Ayt Ishaq. Moins largement attestée que l'izli, les travaux de Loubignac (1924), Laoust (1928/1939), Drouin (1975), Jouad (1983) et Peyron (1985/1989, etc.) lui consentent néanmoins une place de choix. Sans oublier quelques joyaux recueillis par Reyniers (1930) à Aghbala, auprès de la poétesse aveugle Tawqrat n Ayt Sukhman. Plus près de nous deux autres praticiennes, actuellement décédées, se sont distinguées dans ce domaine : 'Aïcha Taghzeft de Tighessalîn, et la très belle 'Aicha w Touirra de Midelt.
Conclusion S'agissant des danses sur le plan quantitatif nous avons volontairement limité cette étude. Si certaines manquent à l'appel, comme la danse des coussins du Moyen-Atlas, ou celle des jeunes de Talsinnt, cela a été dicté par un souci de clarté. Nous nous sommes attachés à démontrer ici et ailleurs à quel point les danses principales ahwach, ahidous ay aralla buya - s'identifiaient aux trois grandes aires linguistiques berbérophones du Maroc : respectivement, celle de la tachelhiyt, la tamazight, et la tarifit. Par la place prépondérante qu'elles occupent dans l'inconscient collectif, ainsi qu'en raison de l'importance qui leur est accordée dans l'organisation des fêtes traditionnelles, du fait aussi de la véritable polarisation dont chacune d'elle fait l'objet au sein du groupe concerné, il est clair que les danses, tout autant que l'usage de la langue vernaculaire, contribuent à déterminer le degré de berbéritude, des différents groupes. Maintenant pour ce tour d'horizon du chant berbère marocain on retire une impression à la fois de diversité et de dynamisme. Si, d'un côté, certains genres classiques semblent être en perte de vitesse, donnant l'impression de sombrer dans une répétition stérile, il apparaît clairement que les moyens modernes de diffusion ont prêté un concours inespéré autant qu'inattendu ayant servi à revaloriser, à augmenter le rayonnement de cette production traditionnelle. Sans oublier la prise de conscience à propos de l'héritage amazigh de la fin des années 1970. Ce phénomène déterminant a agi dans deux directions. D'une part, en poussant les locuteurs de la langue vernaculaire à se pencher davantage sur leur passé, à opérer un retour aux sources ; d'autre part, en incitant certains d'entre eux à remodeler les formes poétiques qui s'essoufflaient. Volonté novatrice qui a été diversement appréciée. Ainsi, voit-on beaucoup de jeunes chez les At Warayn, à la recherche de leur patrimoine musical, s'évertuer à chanter en berbère, alors que dans le Moyen-Atlas, des émules de Rouicha, basés sur Azrou, Khenifra et Tighessalîn, mettent timawayin et timdyazin en musique. En même temps, à la limite ouest du pays beraber, chez les Zemmour de Khemisset, un 'Abdelwahed El Hajjawi, ou une Najat 'Attabou peuvent choquer certains puristes par leurs innovations s'adressant à un public plus large, surtout lorsque leurs chants sont en arabe, même si la forme reste berbère. Sans doute le renouveau profond viendra-t-il du Souss, grâce aux efforts de groupes comme Ousman (Lefébure, 1986), où, par une alliance heureuse entre des formes musicales accrocheuses et un Iyrisme qui puise toujours dans le lexique traditionnel, on aboutit à un genre revu au goût du jour et ayant le mérite d'épater aussi bien les jeunes que les anciens. Cet héritage millénaire, d'aucuns le disent menacé, mais il semble se maintenir contre vents et marées grâce à certaines initiatives heureuses prises en haut-lieu, ainsi qu'en raison de l'acharnement et de la fierté des principaux intéressés, à préserver un acquis culturel d'une grande richesse.
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